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6 mars 2007

inégalités et globalisation

Comment corriger les inégalités ?, par Patrick Artus

LE MONDE | 26.02.07 | 13h56  •  Mis à jour le 26.02.07 | 13h56

n sait que la globalisation génère spontanément et durablement une ouverture des inégalités de revenus dans les grands pays de l'OCDE, par plusieurs mécanismes.

Tout d'abord, elle conduit à la disparition d'une partie importante des emplois ayant des niveaux intermédiaires de rémunération, par exemple dans l'industrie ou dans les services délocalisables (informatique). De ce fait, le marché du travail se concentre aux deux extrémités de l'échelle des qualifications : dans les emplois très qualifiés (conception, management, nouvelles technologies, finance...) ; dans les emplois peu qualifiés (services aux particuliers, distribution, construction) qui sont créés dans les activités non délocalisables. Il y a donc une tendance à concentrer les créations d'emplois sur ceux à revenu élevé et sur ceux à revenu faible, au détriment de ceux à revenu intermédiaire. L'emploi manufacturier a baissé de 15 % à 25 % en dix ans aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Italie et au Japon.

Ensuite, la spécialisation productive normale des pays "avancés" dans les biens sophistiqués fait apparaître une prime pour les salariés qui maîtrisent les techniques correspondantes, c'est-à-dire une inégalité croissante liée au progrès technologique. De plus, les salariés des entreprises internationales, qui ont des marchés et génèrent des profits dans l'ensemble des pays, y compris les émergents en croissance rapide, sont nettement favorisés par rapport aux salariés des entreprises qui n'accèdent qu'aux marchés domestiques en croissance plus faible.

Les profits des sociétés du CAC 40 augmentent de 20 % par an en moyenne, ceux de l'ensemble des entreprises françaises stagnent. Enfin, l'internationalisation des entreprises et la mobilité accrue du travail qualifié conduisent à l'alignement progressif, en Europe continentale, des rémunérations des dirigeants, des cadres des services financiers... sur celles de leurs homologues anglo-saxons. Aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (aussi en Chine, en Inde), les 0,1 % d'individus au niveau de revenu le plus élevé reçoivent 6 % du revenu national. Le salaire des dirigeants aux Etats-Unis est passé de 30 fois le salaire moyen en 1980 à 180 fois le salaire moyen en 2005.

S'ajoutent à ces inégalités de revenu les inégalités patrimoniales qui résultent de la hausse des prix des actifs (immobiliers, actions) due à l'orientation très expansionniste de la politique monétaire mondiale (avec le soutien de la croissance aux Etats-Unis, en Europe, au Japon) ; due aussi aux interventions de change en Asie et dans les pays exportateurs de matières premières qui accroissent la liquidité mondiale.

Que peuvent faire les gouvernements, en particulier en Europe continentale ? Certains sont tentés par la "taxation des riches" : puisque les inégalités augmentent, on peut opérer de la redistribution en accroissant la taxation des hauts revenus et du capital. Le danger est évidemment la mobilité très forte du travail qualifié, du capital financier, des sièges sociaux, et le risque réel que ces politiques soient totalement contre-productives à moyen terme en conduisant à des délocalisations accrues. Les sociétés du CAC 40 ont réduit de 40 % leurs investissements en France en six ans, et on estime que les 10 000 Français les plus fortunés vivent à l'étranger. La moitié des PME ont un chiffre d'affaires en croissance moyenne nulle, dans beaucoup de cas volontairement.

D'autres sont tentés par la hausse des bas salaires. Cela est certainement nécessaire dans certains cas, en particulier lorsque des salariés ayant de réelles qualifications se trouvent dans des secteurs où les salaires sont anormalement bas (santé, recherche par exemple). Mais la hausse administrée globale des salaires des moins qualifiés n'est pas faisable, car elle réduirait la demande de travail peu qualifié, et parce que de plus en plus le travail non qualifié devient mobile : on s'aperçoit que les flux migratoires en provenance des pays émergents sont croissants, et bien plus importants que ce qu'on pensait, ce qui déprime évidemment les salaires des moins qualifiés. L'immigration représente 1,5 % de la population par an en Espagne, 1 % en Italie, au Royaume-Uni....

On voit que le problème de correction des inégalités dues à la globalisation est loin d'être simple, et qu'il n'y a pas de remède miracle. Où observe-t-on aujourd'hui une accélération des salaires, y compris dans les services protégés ? Aux Etats-Unis ( après une longue phase de stagnation) et au Royaume-Uni ; en Allemagne, où apparemment, en 2007, les salaires vont enfin interrompre leur tendance à la baisse ; en Suède, depuis plusieurs années. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, cela vient de l'importance de la demande de services, qui en fait aussi monter les prix, donc des créations d'emplois dans ces secteurs ; la demande croissante de services émanant elle-même pour une partie importante de la partie de la population qui a des revenus élevés, et au Royaume-Uni de la capacité à exporter des services.

En Allemagne et en Suède, cela vient du retour à la prospérité de l'industrie, avec croissance rapide des exportations, des investissements, des profits, retour de positions dominantes pour les industries allemandes et suédoises dans beaucoup de secteurs. Si on compte les secteurs industriels dans lesquels il y a spécialisation, sur 40 secteurs possibles on en trouve 4 en France, 2 en Italie, 16 en Allemagne, 10 en Suède.

Il y a donc finalement deux stratégies, une stratégie "passive" : laisser les inégalités s'accroître et compter sur la demande des riches pour stimuler à terme l'emploi et les salaires en amenant une tension du marché du travail, y compris pour les emplois peu qualifiés ; une stratégie "active", de restauration de la compétitivité et de retour précisément de la capacité à créer des emplois de niveau de revenu intermédiaire, en particulier par la qualité de la spécialisation productive. Mais il ne faut pas compter sur les stratégies de taxation ou de hausse administrée des bas salaires.

La France pour l'instant n'a choisi ni la stratégie passive (les inégalités s'ouvrent beaucoup moins que dans le monde anglo-saxon) ni la stratégie active (les pertes de parts de marché s'amplifient).


Patrick Artus est membre du Conseil d'analyse économique, directeur de recherche d'Ixis.


Article paru dans l'édition du 27.02.07



http://lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-876346,0.html

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