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23 novembre 2005

SUITE AU LIVRE PRESENTE EN CLASSE DE STEPHANE

SUITE AU LIVRE  PRESENTE EN CLASSE DE STEPHANE BEAU VIOLENCES UNBAINES  PARU DANS L'HUMANITE DU 14 NOVEMBRE 2005

événement
« C’est la question sociale qui est primordiale »

Stéphane Beaud, maître de conférences en sociologie à l’université de Nantes, a publié divers travaux sur les jeunes des milieux populaires (1), sur les violences urbaines (2) et sur le monde ouvrier (3).

Les violences urbaines qui se sont étendues à tout le pays dessinent-elles un phénomène nouveau par leur ampleur et le profil des individus impliqués ?

Stéphane Beaud. La nouveauté, c’est la durée, le phénomène de contagion et peut-être l’importance de la participation de mineurs de 12 à 16 ans. Conjugués à la crise sociale à laquelle la France est en proie, et que les classes populaires paient au prix fort, les effets sociaux des politiques menées depuis 2002 ont, je crois, un rôle important dans ce qui vient de se produire. Les problèmes sont bien sûr structurels, mais on ne peut pas nier qu’ils ont été aggravés par une politique sociale antiredistributrice. On donne de l’argent aux riches, à travers les baisses d’impôts, et parallèlement on supprime l’argent aux associations et, pour les jeunes, toutes les petites portes de sortie, comme par exemple les emplois-jeunes. Ces emplois, pour de nombreux jeunes des quartiers, offraient un premier palier d’insertion, de socialisation professionnelle. Ils avaient cinq ans devant eux pour se reconstruire, prendre confiance en eux, rencontrer enfin le monde du travail. Cette expérience leur a permis de découvrir d’autres milieux sociaux, mais aussi l’existence de luttes politiques, syndicales. Mais c’était limité aux bacheliers. On n’a vraiment pas fait grand-chose pour les « bac - 5 » n comme ceux-ci se désignent par autodérision. Enfin, on ne peut pas comprendre ce phénomène de contagion sans prendre en considération les propos délibérément insultants de Nicolas Sarkozy, des propos calculés, qui participent d’une stratégie de la tension. C’est un jeu dangereux dans le contexte actuel de déstructuration des classes populaires et de craintes de déclassement des classes moyennes.

Vous analysez, au fil de certains de vos travaux avec Michel Pialoux, une rupture de la classe ouvrière avec le monde du travail. Comment s’est construite cette rupture ?

Stéphane Beaud. Un taux de chômage durablement au-dessus de 10 %, qui peut monter jusqu’à 40 % pour les jeunes dans certains quartiers, cela finit par miner de l’intérieur une société. Ce chômage perturbe les perspectives d’avenir à l’échelle individuelle et déstabilise les familles en accroissant le nombre de séparations et de familles monoparentales. Certains parents, qui ne se sont pas construits comme salariés, sont tout simplement débordés par leur situation. Pour la génération d’enfants d’immigrés qui ont aujourd’hui quarante ans, les choses étaient très différentes. Le père, ouvrier, était très présent, et cette présence offrait aux enfants de solides structures mentales. Les familles les plus stables socialement ont peu à peu quitté les cités où il tend à ne rester que les « assignés à résidence », qui se vivent comme tels.

Pourquoi récusez-vous l’idée de « discrimination positive » ? Au regard de l’ampleur des discriminations, pensez-vous que les jeunes d’origine immigrée puissent adhérer au « retour aux principes fondateurs de la République » que vous prônez ?

Stéphane Beaud. Le problème fondamental, c’est que ces principes de liberté, d’égalité, de fraternité ne sont pas à leurs yeux appliqués ! Ces jeunes subissent tous les jours le fossé entre ces principes et la réalité des contrôles policiers au faciès, des discriminations à l’embauche. D’où ce fort sentiment d’injustice. Il y a vingt ans, la marche pour l’égalité était animée par des jeunes, souvent étudiants, plutôt politisés dans le sillon de la gauche, qui ont entraîné tout le monde avec eux.

Au contraire, un clivage frappant traverse la génération actuelle. Avec d’un côté ceux qui espèrent s’en sortir de manière individuelle, par l’école, le diplôme. Et, de l’autre, ceux qui restent sur le bord de la route, tôt dans leur parcours scolaire. Ceux-là commencent, très jeunes, dès douze ou treize ans, à « emmerder tout le monde », tout simplement parce qu’ils se sentent mis à l’écart. Comme nous le disait un éducateur de Montbéliard rencontré lors de l’enquête sur l’émeute urbaine, « ces jeunes-là, il faut leur tendre la perche ». Or ce principe est oublié.

Les jeunes de cités, parce qu’ils sont noirs ou basanés, font peur. Cela entraîne un cercle vicieux : au racisme répond ce que j’appellerais un « contre-racisme », qui s’explique par les différentes formes de racisme qu’ils ont vécues.

Reste que c’est la question sociale qui est primordiale. Des enfants d’immigrés qui ont aujourd’hui plus de quarante ans sont devenus chercheurs, profs, médecins. Parce que la cité fonctionnait, parce que l’école pouvait jouer pleinement son rôle. Depuis une vingtaine d’années, la société se fracture de toutes parts, et on n’a pas voulu voir ce problème social. C’est lui qui nous explose aujourd’hui à la figure.

Malgré cette « déstructuration » des classes populaires, vous décelez chez les jeunes des cités un fort potentiel de lutte et de politisation. Pourtant, les récentes émeutes donnent l’impression que des jeunes se tournent vers la violence précisément parce qu’ils n’ont pas le langage et les outils politiques pour exprimer leur révolte...

Stéphane Beaud. On ne peut pas parler de politisation au sens strict pour les jeunes à l’origine des violences. Pour ceux-là, c’est un cri de rage, de révolte contre un ordre des choses insupportable, avec l’autodestruction comme tonalité principale. Gérard Mauger parle de « proto-politisation », en ce sens que, pour la première fois peut-être, ils se mettent régulièrement à l’écoute des propos de Sarkozy. Réclamer sa démission, c’est un acte politique et peut-être l’embryon d’une forme de politisation. Ces jeunes trouveront-ils des alliés, chez d’autres jeunes dans les cités, ou du côté des étudiants politisés ? La suite en dépendra. Les jeunes de cité bacheliers, eux, expriment souvent une révolte face aux humiliations qu’ils ont vécues et ils ont les armes culturelles, intellectuelles pour penser leur situation, un peu comme les ouvriers français d’il y a trente ou quarante ans, exclus du collège, qui sont devenus des militants ouvriers. Mais la gauche n’a pas su ou voulu voir ce potentiel. En jouant la carte du « beur de service », elle a raté l’intégration de toute une génération dans les mairies, au Parlement, dans les instances représentatives.

(1) 80 % d’une classe d’âge

au bac... et après ? Les enfants

de la démocratisation scolaire, Stéphane Beaud, La Découverte, 2002, 2003.

Pays de malheur ! Un jeune

de cité écrit à un sociologue, Stéphane Beaud et Younes Amrani, La Découverte,

2004, 2005.

(2) Violences urbaines, violence sociale, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Fayard, 2003.

(3) Retour sur la condition ouvrière, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Fayard, 1999.

Propos recueillis par Cathy Ceibe et Rosa Moussaoui

 

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