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Ter ES Saint Paul Ajaccio
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2 juin 2006

sur la dette l'article paru dans le figaro de Fitoussi et Aghion

Le syndrome de la dette publique française , par Philippe Aghion, Jean-Paul Fitoussi
Le Figaro 26 janvier 2006

Une grande inquiétude s'est emparée du peuple français en raison de la notification quasi quotidienne qui lui est faite selon laquelle chaque nouveau-né héritera désormais d'une dette brut de 17 500 euros. Pour apaiser cette inquiétude, toutes les politiques publiques ne devraient aujourd'hui obéir qu'à une seule urgence : réduire la dette publique française. Oui, mais comment ? Le rapport Pébereau souligne l'existence de nombre de dysfonctionnements de l'Etat dont la correction permettrait de largement y contribuer. Il a le mérite d'ouvrir un débat argumenté sur une question centrale pour l'avenir de nos sociétés, celle des finances publiques.

Tout en en reconnaissant la grande qualité de ce rapport en même temps que son juste souci d'attirer l'attention sur la trajectoire dangereuse que pourraient emprunter nos finances publiques, nous voudrions soutenir ici que donner la priorité absolue à la réduction de la dette publique au détriment de tout autre objectif macroéconomique relève d'une démarche erronée. Le principal critère d'appréciation des politiques publiques, et en particulier de la politique macroéconomique, devrait être plutôt leur capacité à maximiser notre potentiel de croissance, c'est-à-dire la valeur nette présente de notre richesse future. On admet ce critère pour les entreprises, pourquoi ne pas l'admettre pour l'Etat ?

Pour pouvoir croître, une entreprise privée doit investir davantage et donc emprunter davantage. Ce qui importe pour l'entreprise dans son choix d'endettement n'est pas le ratio entre sa dette et sa production courantes, mais plutôt la valeur actualisée nette de ses profits futurs. Un endettement excessif peut certes se retourner contre l'entreprise s'il augmente par trop sa probabilité de faillite ou s'il l'empêche d'accéder au marché du crédit. Mais en aucune hypothèse une entreprise ne peut avoir pour objectif une dette brute nulle. Par ailleurs, l'entreprise ne maîtrise pas pleinement le moment où elle doit emprunter. Si elle ne saisit pas une opportunité d'investissement pour des raisons de conservatisme financier, elle court le risque d'être exclue du marché au profit d'autres entreprises qui auraient fait le choix inverse en continuant d'investir et d'innover. De même, l'entreprise qui a déjà beaucoup investi en recherche et développement, mais qui, confrontée a un choc de liquidité, déci derait, pour ne pas emprunter davantage, d'interrompre ses inves tissements, perdrait le bénéfice de ses efforts passés et verrait se dégrader sa position concurrentielle. Un Etat n'est pas une entreprise en ce que son objectif est le bien-être de la collectivité nationale et que sa satisfaction implique notamment la fourniture aux populations d'une assurance collective d'activité (politique de stabilisation).

Mais pour ce qui concerne l'endettement, sa marge de manoeuvre est beaucoup plus importante car, disposant de l'éternité un horizon de planification infini et du pouvoir de lever l'impôt, il est par définition l'agent économique le plus solvable. Il est aussi confronté à des contraintes de nature différentes, et notamment celle d'éviter que la dette publique ne suscite une inflation trop importante, ce qui alors réduirait le potentiel de croissance du pays. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, la France n'a pas trop de soucis à se faire, si, par exemple, on compare l'équation de son endettement à celle des Etats-Unis. La dette publique brute de ce pays est aussi élevée que la dette brute française (65 % du PIB), sa dette nette des actifs financiers détenus par les administrations étant même plus importante que la nôtre (47 % contre 44 %). Le taux d'inflation y est pourtant plus élevé qu'en France (3,4 % contre 1,9 %) en raison de tensions plus fortes sur un marché du travail proche du plein emploi. Personne cependant n'imagine que cette équation, plus dégradée que la nôtre, constituerait un frein à la croissance américaine, laquelle se maintient à un taux nettement supérieur à 3 % (contre moins de 2 % en France dans les dernières années).

Si le bon critère est bien celui de la maximisation de notre richesse nette, et on ne voit pas bien quel autre il pourrait être, l'essentiel n'est pas de réduire la dette publique à court terme mais plutôt de restructurer les dépenses publiques aux fins d'augmenter le potentiel de croissance : baisser les dépenses inefficaces en accroissant la productivité des services, réduire celles dont l'objectif premier est de satisfaire des lobbies à des fins électorales, mais également augmenter l'investissement public dans certains domaines où la France a accumulé un retard préoccupant depuis le début des années 90 : l'éducation supérieure, la recherche, les infrastructures, notamment urbaines. Il convient aussi d'investir en mettant en oeuvre les réformes structurelles que l'on pense le plus propice à la croissance. De telles réformes ne peuvent être réalisées à périmètre constant pour au moins deux raisons. D'une part, il faut compenser financièrement les générations présentes si elles subissent un coût trop élevé du fait de ces réformes. D'autre part, la mise en oeuvre de certaines politiques structurelles, comme par exemple les politiques actives de l'emploi dont celles conduites au Danemark sont données en modèle de façon quasi unanime par l'ensemble de la classe politique française, est elle-même coûteuse. Mais si ces réformes et ces politiques étaient entreprises, c'est précisément que l'on en attend un surcroît de croissance persistant dont les bénéfices excèdent largement les coûts initiaux. Autrement, pourquoi les entreprendre ? Il est, en outre, comme le montre notamment l'exemple américain, un usage intelligent de l'accroissement des investissements publics, en ce qu'il permet de réduire la durée des phases de ralentissement et ainsi d'augmenter la croissance moyenne de long terme : à savoir, augmenter les commandes publiques et les aides aux entreprises innovantes en période de faible croissance. Une étude récente a montré que si l'investissement public dans la zone euro, au lieu d'être procyclique comme il l'a été depuis quinze ans, avait été de même montant cumulé, mais constant d'année en année, la croissance eut été plus élevée de 0,3 % par an, ce qui est considérable. Une politique publique contracyclique (c'est-à-dire où l'Etat investit plus en période de croissance faible) eut été encore plus bénéfique, mais elle suppose évidemment qu'au lieu de distribuer des « cagnottes », on s'emploie au contraire à réduire la dette lorsque la croissance est élevée.

La priorité n'est donc pas tant de réduire notre dette publique dans la phase actuelle de croissance incertaine que de veiller à une meilleure utilisation des fonds publics en restructurant nos dépenses et en favorisant l'investissement et l'innovation, de façon à consolider la reprise. Elle est aussi de garantir que l'accroissement des recettes publiques générées par le surcroît d'activité économique sera bien affecté à la réduction de la dette, car une politique budgétaire contracyclique doit être symétrique entre le haut et le bas du cycle, si l'on veut éviter une dérive de notre endettement. Une politique économique dont l'objectif premier est la maximisation du potentiel de croissance, parce qu'elle est le moyen privilégié d'enrichir les Français, est de fait la meilleure stratégie pour réduire la dette publique et la maintenir à des niveaux soutenables sur le long terme.

* Professeur d'économie à Harvard.

** Professeur des universités à Sciences po, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques.

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