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Ter ES Saint Paul Ajaccio
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14 mars 2006

POUR PREPARER LES COURS DE SOCIO

 

en préparation des cours de socio

voilà un résumé d'un des petits livres très bien fait (par un collègue doué...)

merci à Christophe Nicoud

SON SITE



LE GHETTO FRANÇAIS


Enquête1 sur le séparatisme social

Eric Maurin

Coll. La République des idées, Seuil, Paris, 2004, 95 pages

 

La ségrégation urbaine articule et concentre presque toutes les formes d’inégalités. Elle les exhibe et les dissimule depuis une vingtaine d’années à travers toute la société. Notre société est compartimentée, entretenue par les comportements de fuite et de contournement des groupes sociaux les uns envers les autres. Des ghettos pauvres, nous passons graduellement aux ghettos chics.

 

Chapitre I : la société de l’entre soi.

 

Les politiques sociales décentralisées ont pour objectif de faire disparaître quelques enclaves sensibles cumulant toutes les inégalités, sur la base de la contractualisation et de la responsabilisation. Ceci découle d’une lecture simpliste de la réalité sociale. Bien que des ghettos, à aider, existent, il faut se rendre à l’évidence que c’est toute la société française qui est fragmentée à travers un processus de fuite et d’évitement réciproques, dont le territoire n’est qu’un révélateur. Les cadres évitent les professions intermédiaires qui évitent les employés… Cependant, cela se produit aussi inévitablement à l’intérieur de chaque groupe. Les cadres et les professions intermédiaires du privé n’ont guère de similitudes avec les cadres et les professions intermédiaires du public. Ils se rejettent aussi spatialement.

Nos ghettos ne proviennent pas d’un immobilisme social mais plutôt de mobilités sélectionnées. Nous nous regroupons pour éviter les voisinages qui ne nous ressemblent pas, les ZEP en sont un exemple.

 

Les élites cherchent  à se mettre à l’écart de la société. La part des individus relativement bien rémunérés est 2,5 fois plus importante d’un quartier à un autre par rapport à une situation théorique de parfaite mixité sociale. Ce coefficient est de 3,5 si on retient le diplôme plutôt que le salaire. Ces écarts sont les mêmes depuis 20 ans.

Ces choix tactiques entretiennent une concentration spatiale de la richesse et des prix immobiliers hauts, interdisant toute mixité sociale sans aide extérieure. Cette dynamique de relégation s’effectue en cascade jusqu’au classes sociales pauvres, entraînant des frustrations chez les classes moyennes, notamment modestes (abstentionnisme ou vote à l’extrême droite très important en 2002), menacées par le déclassement social, territorial, voire ethnique.

 

Les Français cherchent aussi à se mettre à l’écart des étrangers. A cause d’une pauvreté matérielle et symbolique mais aussi d’une réelle discrimination raciale lors de l’accès au logement, la part d’étrangers est 3 fois plus importante d’un quartier à l’autre par rapport à une situation théorique de parfaite mixité sociale.

 

La thématique de la ségrégation spatiale est actuelle non parce que les inégalités d’accès au territoire se sont accrues, ni parce que un communautarisme menacerait la société2 mais parce que le territoire est devenu un enjeux central dans la recherche de l’entre soi et l’embourgeoisement des PCS. La part des zones comprenant plus de 2 fois plus de cadres que de professions intermédiaires a été multipliée par 2,5 entre 1982 et 1999

 

Au-delà de la qualité des logements des équipements de proximité et de la sécurité, c’est la qualité du voisinage qui compte le plus dans les choix de territoire, notamment pour faire grandir ses enfants au milieu d’enfants plus performants à l’école et restaurer le lien social, fragilisé dans les relations d’emploi au cours des vingt piteuses.

Les adolescents dont l’un des parents est diplômé du supérieur vivent dans des quartiers où la proportion d’adultes diplômés du supérieur est en moyenne 3,5 à 4 fois plus forte que celle des quartiers où grandissent des adolescents n’ayant pas de diplômés du supérieur dans leur famille. L’écart est de 4 à 5 lorsque la nationalité remplace le critère du diplôme.

Cette ségrégation se produit aussi en ce qui concerne les enfants en échec ou en réussite scolaire. Les adolescents dont l’un des proches est sans diplôme vivent dans des voisinages où le taux de retard à 15 ans est plus quatre fois plus élevé, ce qui va avoir une incidence sur le devenir des adolescents.

La ségrégation spatiale vue à travers la scolarité se double même d’une ségrégation au sein des établissements entre les classes d’élites et les classes de relégation.

 

Les politiques de la ville ne se sont pas attaquées à ces inégalités de contexte mais en sont restées à des actions d’urbanisme vaines.

 

Chapitre 2 : ségrégation et destins individuels.

 

La mixité sociale est capitale dès lors qu’un environnement social immédiat3 plus favorisé améliore le destin d’un individu socialement défavorisé sans détériorer le destin des individus socialement favorisés. Cependant, le réflexe de l’entre soi pousse à penser que cette mixité sociale ne peut pas être atteinte spontanément, surtout avec le prix élevé des logements dans les quartiers chics.

 

Le programme Moving To Opportunity (MTO) propose aléatoirement , depuis 1994, à des familles déshéritées et volontaires de Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles et New York un chèque-logement (700 dollars par mois) pour aller vivre dans un meilleur quartier. Nous nous apercevons que ces mobilités améliorent la santé des enfants et leur comportement, en cohérence avec la littérature médicale contemporaine. Cela améliore aussi les performances scolaires des enfants défavorisés4 sans modifier les performances des autres élèves et bien que la part d’élèves défavorisés augmente de 70% (12% de l’école).

A priori, les attitudes et les performances convergent au sein des quartiers puisque les ressources culturelles des habitants sont proches au moment de l’installation, ce qui durcit les inégalités de destin sans mixité sociale.

 

En France, cette constatation se confirme aussi dès que l’on étudie le destin des enfants vivant dans un HLM, dont l’attribution est aléatoire. Le risque d’échec scolaire est grand si l’enfant habite  dans un HLM peuplé d’enfants en échec.

 

L’influence du voisinage direct peut aussi être mis en évidence à travers le rôle des camarades de classe sur eux-mêmes. En d’autres termes, les enfants nés en fin d’année ont une probabilité plus forte de redoubler. Une classe composée principalement d’enfants nés au cours du dernier semestre va donc exercer une influence négative sur la réussite des élèves de la classe. Ainsi, en France, plus de 20% des inégalités devant le retard scolaire au primaire et au collège sont en réalité dues aux inégalités de voisinage social.

Cette influence a été mise en avant aussi par Bruce Sacerdote en analysant les effets de la colocation sur les résultats scolaires au Darmouth College (« Peer effects with random assignment : results for Dartmouth Roommates », Quaterly journal of economics, vol. 116, 2001).

 

Chapitre III : ségrégation et politiques sociales.

 

L’endroit où l’on habite est donc bien une ressource et un enjeu à chaque étape de la vie.

 

Premièrement, les pouvoirs publics ont donc cherché à promouvoir la mixité sociale (politiques de la ville depuis les années 1980 et les émeutes des Minguettes à Lyon, loi sur la Solidarité et la Rénovation Urbaine en 2000, aides personnalisées au logement).

 

Cependant, la mixité sociale ne passe pas par une simple rénovation urbaine, ni par un quota de logements sociaux imposé au seul niveau de la commune, ni par une aide inconditionnelle au logement.

Tout d’abord, le niveau doit être infra-communal pour éviter de créer de ghetto au sein de la commune. Ensuite, les ghettos se constitueront tant que les familles, notamment favorisées, auront une stratégie d’évitement les unes par rapport aux autres. Enfin, Les aides au logement doivent être conditionnées à une installation dans des quartiers plus favorisés et ne pas entraîner une augmentation fictive des loyers

 

Deuxièmement, il est aussi envisageable d’aider les individus fortement défavorisés par leur lieu d’habitation. Les politiques des ZEP et des zones franches en zone urbaine sensible (ZUS) ont cet objectif d’apporter plus de moyens, de responsabilités et de pouvoirs aux individus défavorisés spatialement.

 

Cependant, les zones franches et les ZEP ont eu des impacts décevants. Les zones franches ont créés en moyenne 10 000 emplois par an et le classement en ZEP n’a apporté aucune amélioration des performances relatives des établissements.

D’une part, selon l’inspection générale des affaires sociales, en 1998, un emploi déplacé en zone franche avait un coût social de 2 300 euro.

D’autre part, les ressources allouées en moyenne à un élève de ZEP sont à peine 8 à 10% supérieures à celles allouées à un élève hors ZEP, ce qui n’a permis de diminuer la taille des classes de deux élèves en moyenne. De plus, le classement en ZEP découle d’une procédure administrative assez opaque qui a créé une hétérogénéité au sein de ces ZEP, réputées injustement zones de relégation sociale.

 

Il serait essentiel de conditionner l’obtention temporaire de moyens réellement plus importants à un nombre de ZEP soumis à la formulation de projets évaluables. Selon Thomas Piketty, si la taille des classes de ZEP passait de 22 à 18 élèves, cela permettrait de diminuer de 40% l’écart de performances au CE2 entre les élèves de ZEP et les autres. Mais il serait encore plus important de se départir de l’idée que le niveau d’action est le territoire. Les pouvoirs publics devraient agir au niveau du voisinage, des individus immédiats, en place d’agir sur le territoire. Il semble que les effets de voisinage, de stigmatisation et d’évitement contrebalancent fortement les effets positifs que ces mesures peuvent apporter.

 

En agissant sur les familles, l’intervention a des répercussions sur les autres familles proches, sur les camarades de classe, à travers un effet multiplicateur basé sur l’image de la contagion. Il est donc central d’identifier et de réduire les formes de pauvreté les plus dé favorisantes, c’est-à-dire celles affectant les enfants dans leurs premières périodes de vie.

 

Le Perry School Project a proposé pendant 2 ans, dans les années 1960, à 65 enfants, âgés de 4 à 5 ans, sur 130 enfants issus de familles pauvres noires américaines, de suivre un début de scolarité plus intensif (2,5 heures de classe en plus par jour), basé sur la pédagogie interactive et sur l’implication et la formation des parents, pour un coût de 15 000 dollars par élève et par an. Les deux groupes ont ensuite été suivis tout au long de leur scolarité. A 27 ans, seule une proportion résiduelle de ces enfants est devenue délinquante récidiviste, un tiers des enfants n’a pas fini ses études secondaires et la majorité gagne plus de 2 000 dollars par mois Parallèlement, plus du tiers des enfants qui n’ont pas été aidés est devenue délinquante récidiviste, 50% n’ont pas fini les études secondaires et une proportion résiduelle gagne plus de 2 000 euros.

Il semble donc que les bénéfices sociaux soient à terme 8 fois plus importants que les coûts initiaux (économie en terme d’aides sociales non versées, incarcérations évitées…).

A la fin des années 1960, ce projet a été généralisé et décentralisé avec un effort financier moindre (6 000 dollars par enfant) et des équipes pédagogiques moins formées. Les effets ont donc été aussi minorés mais vont dans le même sens : accroissement des poursuites d’études et des niveaux de revenus, diminution des risques de devenir délinquant récidiviste.

 

Il serait essentiel que l’école primaire française devienne un lieu où nous pourrions corriger les inégalités de conditions de vie qui ont des incidences en termes de santé (obésité, problèmes dentaires et ophtalmologiques) et en termes de réussite scolaire, au collège notamment, et professionnelle.

Ce changement semble urgent car les ressentiments envers l’école sont de plus en plus significatifs et ont des conséquences sur le destin des individus. La suppression du service militaire a impliqué une baisse de 7% des taux de scolarisation entre 18 et 20 ans des garçons, notamment issus des classes populaires, car aucune tendance n’est repérable chez les filles, ni juste avant la mesure gouvernementale. Cette modification aura une incidence sur le niveau du salaire d’embauche. Chaque année supplémentaire dans le système éducatif, plutôt qu’en entreprise, s’accompagne d’un surcroît de salaire d’environ 15%.

 

Il serait donc tout aussi profitable de permettre aux enfants des classes déshéritées de poursuivre leurs études en modifiant le principe des bourses d’études, d’un niveau trop faible pour être incitatives. La possibilité d’obtenir un prêt à taux zéro correspondant à un demi-smic annuel permettrait à ces enfants d’augmenter de 15% leur probabilité de poursuite des études.

 

Conclusion :

 

Premièrement, La ségrégation spatiale semble transcender la société française dans son intégralité. Il n’y a pas que des ghettos pauvres et des ghettos chics. Il semble exister une multitude d’enclaves, zones d’entre soi et conséquences de stratégies d’évitement.

 

Deuxièmement, la ségrégation ne fait pas que déterminer le présent. Par ses effets de voisinage sur les individus, elle détermine aussi les destins.

 

Troisièmement, la mixité sociale au niveau des voisinages immédiat semble être le levier d’une modification de ce déterminisme.

 

Quatrièmement, les politiques de la ville doivent donc agir sur les individus, notamment les enfants, et non plus uniquement sur les espaces. A ce stade, l’école devrait être moins sélective et moins anxiogène (conséquences des risques de redoublements et d’échec) avec des programmes moins lourds et plus concrets.

Les inconvénients ici sont de définir une culture commune, de modifier le rapport des familles favorisées à l’école, puisque celles-ci savent que l’école est le moyen central de réussite sociale, de modifier la structure même de l’enseignement supérieur, divisé en grandes écoles élitistes et filières universitaires de relégation.

 

Il est capital que les destins ne soient plus aussi déterminés qu’ils le sont actuellement. Il faut être en capacité d’offrir aux générations montantes des espoirs de mobilité salariale, laquelle a été mise à mal par 20 ans de croissance molle.

 

 

Questions posées aux élèves : Vous traiterez une question au choix sous la forme qu’une question de synthèse.

 

  1. Pourquoi la société française est-elle une société de l’entre-soi ?

  2. Quels sont les effets de la ségrégation sur les destins individuels ?

  3. Comment résoudre les problèmes de ségrégation ?



 

1 Basée sur l’interprétation, entre autre, de l’Enquête Emploi de l’INSEE.

 

2 Le degré de ghettoïsation des immigrés n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il y a 20 ans.

 

3 Les individus sont en effet influencés par leur entourage immédiat et par peu de personnes.

 

4 Remarquons que ces politiques n’auraient sans doute pas le même effet si elles étaient généralisées à l’ensemble de la population non volontaire.



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